Au Mali, focus sur l'amélioration de conditions des femmes exploitantes de sable

  • Amélioration de conditions des femmes exploitantes de sable, Enabel amorce le pas au Mali


Les femmes exploitantes de sable et de gravier dans la commune urbaine de Koulikoro au Mali

Depuis 2021, Enabel dans la mise en œuvre de son projet renforcement des capacités (IRC) des institutions et acteurs de la société civile dans la région de Koulikoro a fait une recherche-action sur le genre pour trouver des solutions à la problématique de l’extraction de sable et de gravier par les filles et les femmes vulnérables. Les résultats issus de cette recherche abordent les points suivants : l’autonomisation économique, la santé, les droits sexuels et reproductifs et les violences basées sur le genre.
En effet pour améliorer le statut et les conditions de travail des filles et des femmes vulnérables exploitantes de sable et de gravier dans le lit du fleuve Niger dans la commune urbaine de Koulikoro, au Mali, il est nécessaire d’encourager une autonomisation économique des femmes concernées. Il faut donc parvenir à une transformation sociale pour garantir un environnement sain et sécurisé pour les femmes et les filles exploitantes de sable et de gravier en protégeant les berges et le lit du fleuve Niger dans la commune urbaine de Koulikoro.

Une recherche-action qui se déroule dans le lit du fleuve Niger à KoulikoroKoulikoro est une commune urbaine du Mali. La ville est située environ 60 kilomètres à l’est de Bamako. L’extraction de sable et de gravier dans le lit du fleuve Niger a commencé de façon occasionnelle à l’époque coloniale pour ensuite évoluer progressivement au fil de l’urbanisation de la ville de Bamako. Après la fermeture de l’Huilerie Cotonnière du Mali (HUICOMA), les populations de la commune de Koulikoro se sont tournées vers les activités d’extraction de sable et de gravier dans le lit du fleuve Niger afin de compenser la perte de revenu. Brusquement, les femmes dont les maris travaillaient à l’HUICOMA sont devenues des femmes chefs de famille.

Des femmes pauvres, vulnérables, marginalisées mais oubliées dans tous les mécanismes de protection socialeDans le centre du Mali, de nos jours, les populations travaillent de moins en moins la terre en raison du conflit et de l’insécurité qu’il engendre. La plupart des habitants, notamment les filles et les femmes, préfèrent fuir vers les villes plus tranquilles comme la commune de Koulikoro. C’est ainsi que, du jour au lendemain, les berges du fleuve Niger ont été envahies par des milliers de femmes, de filles et de garçons de tout âge venant des quatre coins du Mali et des pays voisins, tels que le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et la Guinée. Dans ce monde hostile, la situation de certaines femmes et filles sur les sites d’extraction de sable dépasse ce que l’on peut imaginer car elles sont dans l’oubli total, sans famille, sans éducation, sans soins de santé, sans logement. Elles deviennent les victimes de toutes sortes de violences sexuelles et sociales, harcèlement physique et peuvent tomber dans la prostitution.  

Droits humains et autonomisation économique des femmes – un droit pour les femmes
L’autonomisation des femmes et la promotion de l’égalité entre femmes et hommes constituent un principe cardinal. Ainsi, des formations ont été organisées pour équiper les femmes et booster leurs compétences théoriques et pratiques en matière de leadership féminin afin de conforter et de pérenniser leur engagement pour la parité. En outre, le projet a mis en place la formation d’un pool de quarante formateurs issus des organisations partenaires de l’IRC sur les approches et outils pour mener à bien des actions sensibles au genre dans le développement local.  A la suite de cette démarche, il s’est révélé nécessaire de mieux comprendre le statut et la condition des femmes et filles extractrices de sable et de gravier dans le lit du fleuve Niger à Koulikoro afin de promouvoir leur autonomisation. Une recherche-action a été entamée pour identifier et, à terme, trouver des solutions idoines pour améliorer leur statut et leurs conditions de travail.

Résultat de la recherche

Cette recherche-action a permis d’identifier les problèmes des femmes et des filles extractrices de sable et de gravier et de formuler d’éventuelles solutions pour l’amélioration des conditions de travail et du statut des filles et femmes exploitantes en vue de leur autonomisation. Elle a aussi entraîné un changement des comportements individuels des membres du groupe : « Tout le monde est choqué par la découverte de la situation de violences basées sur le genre et de la perte de dignité humaine que vivent ces femmes dans l’oubli complet et l’indifférence totale ».

 Autonomisation économique des femmes et des filles
Comment favoriser l’autonomisation économique des femmes exploitantes de sable et de gravier ?Parmi les solutions possibles figurent l’accès et le contrôle des ressources et la création d’activités génératrices de revenus. Le revenu mensuel moyen d’un homme est égal au revenu annuel moyen d’une femme. Les femmes travaillent entre sept et quinze heures par jour pour un revenu de 500 à 1 000 FCFA, qui peut varier selon les jours. Ce montant ne leur permet pas de manger, de se soigner et d’envoyer leurs enfants à l’école.  

Témoignage de Fatoumata, exploitante de sable à Koulikoro : « Je ne gagne pas assez d’argent. Je récolte le sable avec un morceau de bidon coupé et une tasse trouée. Je fais un tas avec quinze seaux que je peux vendre à 250 FCFA. Pour le chargement d’une charrette, je gagne 500 FCFA. Aucune femme ne dispose d’aire de stockage. Ce sont les hommes qui contrôlent tout et ce sont eux qui nous donnent de petits espaces pour nos tas de sable. Nous les femmes ne sont pas suffisamment équipés comme les hommes donc nous gagnons moins qu'eux, on manque de moyens, c'est un besoin réel qui nous handicape parfois  J’ai notamment besoin de diversifier mes sources de revenus car pendant la saison des pluies  avec la montée de l’eau du fleuve, nous n’arrivons pas à extraire le sable. De plus, c’est très dangereux. Beaucoup de mes camarades sont mortes par noyade. » 
En premier lieu, la formation des femmes à d’autres activités génératrices de revenus, telles que l’élevage de volaille ou de petits ruminants, le maraîchage et la transformation agroalimentaire, la saponification, le commerce, etc., est nécessaire pour favoriser leur autonomisation économique. En second lieu, elles doivent être impliquées dans les espaces de décisions sur les prix à fixer et dans les autres formes d’organisation sur les sites d’exploitation du sable, tels que les espaces de stockage. Enfin, il faut mettre à la disposition des femmes du matériel et des équipements adéquats pour l’extraction du sable.

Témoignage de Kady, : « On a quitté Mopti il y a quatre ans en raison des conflits. Quand on est arrivé à Koulikoro, mon père est décédé. Je vis sur les berges avec ma mère et mes deux petits frères, sous un hangar que nous avons construit avec de vieux tissus et du plastique. Ma mère n'a pas d'emplois, donc j’ai décidé d’aller récolter le sable pour subvenir aux besoins de ma famille. Je pars à 5 heures et je rentre à 10 heures pour donner à ma mère l’argent pour la préparation du repas et ensuite je retourne aux berges du fleuve où je reste jusqu’à 19 heures. Il y a des jours où je ne gagne rien. Je pleure souvent quand je ne gagne pas d’argent. J'ai un enfant dont j' assure les frais de scolarité à travers les revenus du sable. Souvent, mon enfant est expulsé de l’école pour non-paiement des frais. Il passe une semaine à la maison, après je m’arrange pour payer. ».
Violence basée sur le genre 

Les femmes sont victimes de violence verbale, d’injures graves venant des laptons (pêcheurs de sable, ils transportent le sable et font la plonge), d’insultes ; elles subissent des agressions physiques. Les laptons frappent les petites filles, les vieilles sont bousculées car elles les dérangent. Les filles subissent des agressions sexuelles, des viols. L’accès des filles et des jeunes femmes à la pirogue est conditionné à l’exploitation sexuelle. Elles sont obligées d’accepter les avances et les injonctions indécentes des laptons. Les survivantes ne bénéficient pas de prise en charge psychosociale en cas de viol ou d’agression sexuelle dans le cadre de leur activité. Ce sont les femmes elles-mêmes qui s’occupent des cas. Elles n’ont ni information ni accès aux services de prise en charge, tels que les centres d’écoute et de conseils juridiques. Les syndicats qui sont censés sensibiliser les pêcheurs de sable semblent être de mèche avec les agresseurs et n’entreprennent aucune démarche pour empêcher les abus. La voix des femmes ne porte pas suffisamment pour empêcher ce genre de pratiques sur les sites d’exploitation.   Wassa a commencé à travailler à 8 ans et a dû combiner travail et scolarité. Elle témoigne : « J’ai commencé à travailler dans le sable depuis que je vais à l’école le matin jusqu’à 14 h. À la sortie de l’école, je vais au site et j’y travaille de 14h30 à 18 h. Le samedi et le dimanche, je travaille aussi, de 8 h à 18 h et on mange tous là-bas. Après, vers 21 h, je vais apprendre mes leçons. Je me couche à 1 h du matin et je me lève à 6 h. En journée, je ne veux pas dormir, parce que dormir, c’est perdre du temps. J’ai souvent mal au dos et à la poitrine. Quand j’ai commencé à travailler, à 8 ans, je n’avais pas mal au dos. Ça a commencé quand j’ai eu 10 ans et ça ne m’a plus jamais quittée. »
Wassa rêve d’être policière. Mais elle a déjà échoué quatre fois aux tests de recrutement. Pour le reste, les formations coûtent de l’argent et sa famille n’a pas les moyens. « Oui, on peut apprendre la boulangerie. Dans ce cas, il est inutile de payer. Mais une femme ne peut pas travailler pour un boulanger. Il n’engage que des hommes. C’est comme ça depuis toujours. Pourquoi je travaille dans le sable ? Parce que c’est la seule chose qu’on peut faire quand on n’a pas d’argent. Je veux vraiment avoir une autre profession. » poursuiva t elle. 
Pour réduire les violences faites aux femmes et aux filles dans le secteur du sable et du gravier, il est essentiel de mettre fin à l’impunité. Les auteurs des abus, viols et autres formes de violence doivent être poursuivis.

Les femmes se heurtent à d’autres problèmes de santé (maladie de la peau, bilharziose, infections, etc.) liés à l’environnement de travail que sont les berges et le lit du fleuve. Le fleuve est pollué par les eaux usées, les matières polluantes provenant des structures industrielles et domestiques et des plantes envahissantes comme la jacinthe. La plupart des filles qui fréquentent les sites utilisent des morceaux de tissu pour protéger leurs parties intimes quand elles sont dans l’eau durant les périodes de menstruation. Ces morceaux de tissus non hygiéniques et imbibés d’eau du fleuve, favorisent les infections. Les filles sont souvent victimes de grossesses précoces et non désirées. Plusieurs cas de décès ont été enregistrés suite à un avortement clandestin. Elles sont confrontées à des problèmes d’accès aux services de droits sexuels et reproductifs et notamment à un manque cruel d’information sur les méthodes de contraception. Il faut également souligner qu’il leur est difficile d’assurer les frais de prise en charge pour aller consulter en cas de souci de santé. Elles ont souvent recours à la consommation de drogue et autres substances pour pouvoir tenir la corvée.Témoignage de Rokiatou, exploitante de sable: « Je connais beaucoup de médicaments qui me permettent de tenir. Je prends du Tramadol tous les vendredis pour faire beaucoup de tas car, ce jour-là, les hommes ne travaillent pas. Mais je connais beaucoup d’autres drogues que les exploitants achètent, par exemple “Neguessonie” (le vélo, le cheval en fer), “Dogotila”, “Samprin”, “Pannonie” (un sparadrap sur la tête), Tramadol, etc. Quand ils prennent ces drogues, les hommes deviennent violents. Ils insultent, ils frappent, ils violent, ils volent nos sables, ils nous obligent à travailler pour eux sans nous payer sinon ils nous interdisent le site. »  

Pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux filles, il faut mettre les victimes en relation avec le « One Stop Center » sur le genre pour la prise en charge et la protection des femmes et filles survivantes de violences basées sur le genre. De plus, il faut distribuer des médicaments gratuits en cas d’infection (bilharziose) et faire du plaidoyer auprès des autorités sanitaires pour l’organisation de campagnes de vaccination contre le tétanos. Il faut également doter régulièrement les femmes de kits de protection et protections (il pourrait, par exemple, être intéressant de former les femmes dans la fabrication de slips et de serviettes hygiéniques dans les ateliers de couture des associations de femmes). En parallèle, il convient de prendre des mesures pour empêcher la vente illicite de produits dopants sur les berges et sensibiliser les femmes aux conséquences de l’utilisation des médicaments dopants. Enfin, il faut organiser des formations des filles et des femmes et les sensibiliser aux grossesses non désirées, à l’espacement des naissances, à l’allaitement et à la nutrition des enfants ; il faut aussi envisager des activités diversifiées rémunérées pour les femmes enceintes afin d’éviter les risques de fausses couches. Les actions contre les violences sexuelles perpétrées sur les sites, le renforcement des capacités des femmes pour pouvoir augmenter leur présence et accroître leur marge de manoeuvre dans les forums de prise de décision concernant les sites, ainsi que la création de fonds de solidarité en cas d’accident, de maladie ou de décès, sont des exemples pour rendre leur travail plus digne et favoriser une forme de protection sociale.

Les actions contre les violences sexuelles perpétrées sur les sites, le renforcement des capacités des femmes pour pouvoir augmenter leur présence et accroître leur marge de manoeuvre dans les forums de prise de décision concernant les sites, ainsi que la création de fonds de solidarité en cas d’accident, de maladie ou de décès, sont des exemples pour rendre leur travail plus digne et favoriser une forme de protection sociale.

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