Nènè TRAORE | 08/09/2022
Les femmes exploitantes de sable et de gravier dans la commune urbaine
de Koulikoro au Mali Depuis 2021, Enabel dans la mise en œuvre de son
projet renforcement des capacités (IRC) des institutions et acteurs de la
société civile dans la région de Koulikoro a fait une recherche-action sur le
genre pour trouver des solutions à la problématique de l’extraction
de sable et de gravier par les filles et les femmes vulnérables. Les résultats
issus de cette recherche abordent les points suivants : l’autonomisation
économique, la santé, les droits sexuels et reproductifs et les violences
basées sur le genre.
En effet pour améliorer le statut et les
conditions de travail des filles et des femmes vulnérables exploitantes de
sable et de gravier dans le lit du fleuve Niger dans la commune urbaine de
Koulikoro, au Mali, il est nécessaire d’encourager une autonomisation
économique des femmes concernées. Il faut donc parvenir à une transformation
sociale pour garantir un environnement sain et sécurisé pour les femmes et les
filles exploitantes de sable et de gravier en protégeant les berges et le lit
du fleuve Niger dans la commune urbaine de Koulikoro.
Une recherche-action qui se
déroule dans le lit du fleuve Niger à KoulikoroKoulikoro
est une commune urbaine du Mali. La ville est située environ 60 kilomètres à
l’est de Bamako. L’extraction de sable et de gravier dans le lit du fleuve
Niger a commencé de façon occasionnelle à l’époque coloniale pour ensuite
évoluer progressivement au fil de l’urbanisation de la ville de Bamako.
Après
la fermeture de l’Huilerie Cotonnière du Mali (HUICOMA), les populations de la
commune de Koulikoro se sont tournées vers les activités d’extraction de sable
et de gravier dans le lit du fleuve Niger afin de compenser la perte de revenu.
Brusquement, les femmes dont les maris travaillaient à l’HUICOMA sont devenues
des femmes chefs de famille. Des
femmes pauvres, vulnérables, marginalisées mais oubliées dans tous les
mécanismes de protection socialeDans
le centre du Mali, de nos jours, les populations travaillent de moins en moins
la terre en raison du conflit et de l’insécurité qu’il engendre. La plupart des
habitants, notamment les filles et les femmes, préfèrent fuir vers les villes
plus tranquilles comme la commune de Koulikoro. C’est ainsi que, du jour au
lendemain, les berges du fleuve Niger ont été envahies par des milliers de
femmes, de filles et de garçons de tout âge venant des quatre coins du Mali et
des pays voisins, tels que le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et la Guinée. Dans
ce monde hostile, la situation de certaines femmes et filles sur les sites
d’extraction de sable dépasse ce que l’on peut imaginer car elles sont dans
l’oubli total, sans famille, sans éducation, sans soins de santé, sans
logement. Elles deviennent les victimes de toutes sortes de violences sexuelles
et sociales, harcèlement physique et peuvent tomber dans la prostitution.
Droits
humains et autonomisation économique des femmes – un droit pour les femmes L’autonomisation des
femmes et la promotion de l’égalité entre femmes et hommes constituent un
principe cardinal. Ainsi, des formations ont été organisées pour équiper les
femmes et booster leurs compétences théoriques et pratiques en matière de
leadership féminin afin de conforter et de pérenniser leur engagement pour la
parité. En outre, le projet a mis en place la formation d’un pool de quarante
formateurs issus des organisations partenaires de l’IRC sur les approches et
outils pour mener à bien des actions sensibles au genre dans le développement
local.
A la suite de cette démarche, il s’est révélé
nécessaire de mieux comprendre le statut et la condition des femmes et filles
extractrices de sable et de gravier dans le lit du fleuve Niger à Koulikoro
afin de promouvoir leur autonomisation. Une recherche-action a été entamée pour
identifier et, à terme, trouver des solutions idoines pour améliorer leur
statut et leurs conditions de travail. Résultat de la
recherche Cette
recherche-action a permis d’identifier les problèmes des femmes et des filles
extractrices de sable et de gravier et de formuler d’éventuelles solutions pour
l’amélioration des conditions de travail et du statut des filles et femmes
exploitantes en vue de leur autonomisation. Elle a aussi entraîné un changement
des comportements individuels des membres du groupe : « Tout le monde est
choqué par la découverte de la situation de violences basées sur le genre et de
la perte de dignité humaine que vivent ces femmes dans l’oubli complet et
l’indifférence totale ». Autonomisation
économique des femmes et des filles Comment
favoriser l’autonomisation économique des femmes exploitantes de sable et de
gravier ?Parmi les solutions possibles figurent l’accès et le contrôle des
ressources et la création d’activités génératrices de revenus.
Le
revenu mensuel moyen d’un homme est égal au revenu annuel moyen d’une femme.
Les femmes travaillent entre sept et quinze heures par jour pour un revenu de
500 à 1 000 FCFA, qui peut varier selon les jours. Ce montant ne leur permet
pas de manger, de se soigner et d’envoyer leurs enfants à l’école.
Témoignage de Fatoumata, exploitante de sable à Koulikoro : « Je
ne gagne pas assez d’argent. Je récolte le sable avec un morceau de bidon coupé
et une tasse trouée. Je fais un tas avec quinze seaux que je peux vendre à 250
FCFA. Pour le chargement d’une charrette, je gagne 500 FCFA. Aucune femme ne
dispose d’aire de stockage. Ce sont les hommes qui contrôlent tout et ce sont
eux qui nous donnent de petits espaces pour nos tas de sable. Nous les femmes ne sont pas suffisamment équipés comme les hommes donc nous gagnons moins qu'eux, on manque de moyens, c'est un besoin réel qui nous handicape parfois J’ai notamment besoin de diversifier mes sources de revenus car pendant la saison des pluies avec la montée de
l’eau du fleuve, nous n’arrivons pas à extraire le sable. De plus, c’est très
dangereux. Beaucoup de mes camarades sont mortes par noyade. » En premier lieu, la
formation des femmes à d’autres activités génératrices de revenus, telles que
l’élevage de volaille ou de petits ruminants, le maraîchage et la
transformation agroalimentaire, la saponification, le commerce, etc., est
nécessaire pour favoriser leur autonomisation économique. En second lieu, elles
doivent être impliquées dans les espaces de décisions sur les prix à fixer et
dans les autres formes d’organisation sur les sites d’exploitation du sable,
tels que les espaces de stockage. Enfin, il faut mettre à la disposition des
femmes du matériel et des équipements adéquats pour l’extraction du sable. Témoignage de Kady, : « On a quitté Mopti il y a quatre ans en raison des
conflits. Quand on est arrivé à Koulikoro, mon père est décédé. Je vis sur les
berges avec ma mère et mes deux petits frères, sous un hangar que nous avons
construit avec de vieux tissus et du plastique. Ma mère n'a pas d'emplois, donc j’ai
décidé d’aller récolter le sable pour subvenir aux besoins de ma famille. Je
pars à 5 heures et je rentre à 10 heures pour donner à ma mère l’argent pour la
préparation du repas et ensuite je retourne aux berges du fleuve où je reste
jusqu’à 19 heures. Il y a des jours où je ne gagne rien. Je pleure souvent
quand je ne gagne pas d’argent. J'ai un enfant dont j' assure les frais de scolarité à travers les revenus du sable.
Souvent, mon enfant est expulsé de l’école pour non-paiement des frais. Il
passe une semaine à la maison, après je m’arrange pour payer. ».
Violence basée sur le genre Les
femmes sont victimes de violence verbale, d’injures graves venant des laptons
(pêcheurs de sable, ils transportent le sable et font la plonge), d’insultes ;
elles subissent des agressions physiques. Les laptons frappent les petites
filles, les vieilles sont bousculées car elles les dérangent. Les filles
subissent des agressions sexuelles, des viols. L’accès des filles et des jeunes
femmes à la pirogue est conditionné à l’exploitation sexuelle. Elles sont
obligées d’accepter les avances et les injonctions indécentes des laptons. Les
survivantes ne bénéficient pas de prise en charge psychosociale en cas de viol
ou d’agression sexuelle dans le cadre de leur activité. Ce sont les femmes
elles-mêmes qui s’occupent des cas. Elles n’ont ni information ni accès aux
services de prise en charge, tels que les centres d’écoute et de conseils
juridiques. Les syndicats qui sont censés sensibiliser les pêcheurs de sable
semblent être de mèche avec les agresseurs et n’entreprennent aucune démarche
pour empêcher les abus. La voix des femmes ne porte pas suffisamment pour
empêcher ce genre de pratiques sur les sites d’exploitation.
Wassa
a commencé à travailler à 8 ans et a dû combiner travail et scolarité. Elle
témoigne : « J’ai commencé à travailler dans le sable depuis que je vais à
l’école le matin jusqu’à 14 h. À la sortie de l’école, je vais au site et j’y
travaille de 14h30 à 18 h. Le samedi et le dimanche, je travaille aussi, de 8 h
à 18 h et on mange tous là-bas. Après, vers 21 h, je vais apprendre mes leçons.
Je me couche à 1 h du matin et je me lève à 6 h. En journée, je ne veux pas
dormir, parce que dormir, c’est perdre du temps. J’ai souvent mal au dos et à
la poitrine. Quand j’ai commencé à travailler, à 8 ans, je n’avais pas mal au
dos. Ça a commencé quand j’ai eu 10 ans et ça ne m’a plus jamais quittée. » Wassa rêve d’être
policière. Mais elle a déjà échoué quatre fois aux tests de recrutement. Pour
le reste, les formations coûtent de l’argent et sa famille n’a pas les moyens. « Oui, on peut apprendre la boulangerie. Dans ce cas, il est inutile de payer.
Mais une femme ne peut pas travailler pour un boulanger. Il n’engage que des
hommes. C’est comme ça depuis toujours. Pourquoi je travaille dans le sable ?
Parce que c’est la seule chose qu’on peut faire quand on n’a pas d’argent. Je
veux vraiment avoir une autre profession. » poursuiva t elle. Pour réduire les
violences faites aux femmes et aux filles dans le secteur du sable et du
gravier, il est essentiel de mettre fin à l’impunité. Les auteurs des abus,
viols et autres formes de violence doivent être poursuivis. Les
femmes se heurtent à d’autres problèmes de santé (maladie de la peau,
bilharziose, infections, etc.) liés à l’environnement de travail que sont les
berges et le lit du fleuve. Le fleuve est pollué par les eaux usées, les
matières polluantes provenant des structures industrielles et domestiques et
des plantes envahissantes comme la jacinthe. La plupart des filles qui
fréquentent les sites utilisent des morceaux de tissu pour
protéger leurs parties intimes quand elles sont dans l’eau durant les périodes
de menstruation. Ces morceaux de tissus non hygiéniques et imbibés d’eau du
fleuve, favorisent les infections. Les filles sont souvent victimes de
grossesses précoces et non désirées. Plusieurs cas de décès ont été enregistrés
suite à un avortement clandestin. Elles sont confrontées à des problèmes
d’accès aux services de droits sexuels et reproductifs et notamment à un manque
cruel d’information sur les méthodes de contraception. Il faut également
souligner qu’il leur est difficile d’assurer les frais de prise en charge pour
aller consulter en cas de souci de santé. Elles ont souvent recours à la
consommation de drogue et autres substances pour pouvoir tenir la corvée.Témoignage de Rokiatou, exploitante de sable: «
Je connais beaucoup de médicaments qui me permettent de tenir. Je prends du
Tramadol tous les vendredis pour faire beaucoup de tas car, ce jour-là, les
hommes ne travaillent pas. Mais je connais beaucoup d’autres drogues que les
exploitants achètent, par exemple “Neguessonie” (le vélo, le cheval en fer),
“Dogotila”, “Samprin”, “Pannonie” (un sparadrap sur la tête), Tramadol, etc. Quand
ils prennent ces drogues, les hommes deviennent violents. Ils insultent, ils
frappent, ils violent, ils volent nos sables, ils nous obligent à travailler
pour eux sans nous payer sinon ils nous interdisent le site. »
Pour lutter contre
les violences faites aux femmes et aux filles, il faut mettre les victimes en
relation avec le « One Stop Center » sur le genre pour la prise en charge et la
protection des femmes et filles survivantes de violences basées sur le genre.
De plus, il faut distribuer des médicaments gratuits en cas d’infection
(bilharziose) et faire du plaidoyer auprès des autorités sanitaires pour
l’organisation de campagnes de vaccination contre le tétanos. Il faut également
doter régulièrement les femmes de kits de protection et protections (il pourrait, par exemple,
être intéressant de former les femmes dans la fabrication de slips et de
serviettes hygiéniques dans les ateliers de couture des associations de
femmes). En parallèle, il convient de prendre des mesures pour empêcher la
vente illicite de produits dopants sur les berges et sensibiliser les femmes
aux conséquences de l’utilisation des médicaments dopants. Enfin, il faut
organiser des formations des filles et des femmes et les sensibiliser aux
grossesses non désirées, à l’espacement
des naissances, à l’allaitement et à la nutrition des enfants ; il faut aussi
envisager des activités diversifiées rémunérées pour les femmes enceintes afin
d’éviter les risques de fausses couches. Les actions
contre les violences sexuelles perpétrées sur les sites, le renforcement des
capacités des femmes pour pouvoir augmenter leur présence et accroître leur
marge de manoeuvre dans les forums de prise de décision concernant les sites,
ainsi que la création de fonds de solidarité en cas d’accident, de maladie ou
de décès, sont des exemples pour rendre leur travail plus digne et favoriser
une forme de protection sociale. Les actions
contre les violences sexuelles perpétrées sur les sites, le renforcement des
capacités des femmes pour pouvoir augmenter leur présence et accroître leur
marge de manoeuvre dans les forums de prise de décision concernant les sites,
ainsi que la création de fonds de solidarité en cas d’accident, de maladie ou
de décès, sont des exemples pour rendre leur travail plus digne et favoriser
une forme de protection sociale.
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